Shana Paquette

Un petit mot pour vous présenter notre première résidente, Shana, qui a été en séjour d’écriture au Presbytère de Scott du 19 au 22 juin 2019 pour travailler à son projet de récit intitulé « Zone de confort ».

Crédits photos : Coralie Grenier

Shana Paquette est comme une petite plante : toujours vêtue de vert et à la recherche du soleil. En temps voulu, elle souhaite œuvrer dans le domaine de l’édition comme réviseure pour aider ses collègues littéraires à partager leurs mots et langages. Actuellement, elle a la chance de travailler au sein de l’équipe du magazine littéraire Nuit blanche. Elle est aussi directrice de la revue universitaire L’Écrit primal et membre du comité éditorial au Crachoir de Flaubert. Elle co-rédige aussi son propre carnet littéraire numérique, Anémone & Calendule. Pour écrire, Shana s’inspire des gens qui l’entourent, car pour elle, rédiger sur la vie des autres aide à mettre la sienne en perspective. Dans son habitat naturel, on la retrouve en étoile sur toute parcelle tendre de gazon.

 

 

La tête accotée sur la portière, le cœur me lève. Mon crâne est un melon autour duquel on ajoute des élastiques jusqu’à ce qu’il explose.

Dans le pare-brise, une large chiure d’oiseau m’empêche de distinguer la route qui s’étend devant nous. Tenter de faire le focus sur le paysage défilant me donne envie de me crever les yeux. Ça fait plus de dix heures qu’on roule.

Malgré les bouchons enfoncés le plus creux possible dans mes oreilles, la bass de Stone Sour résonne jusque dans ma nuque. En plus des spasmes de douleur rythmés par mon pouls, le résultat est cacophonique. La voix de Paul s’élève parfois aussi, durant les solos de guitare. Il doit penser que je dors. Mais contrairement à lui, le sommeil ne me gagne pas dans la minute à laquelle je pose ma tête. Au lit, j’attends toujours de sentir qu’il s’est assoupi avant de lâcher prise. Premiers élans d’un instinct maternel mal placé.

Paul n’aime pas conduire sans musique; il dit que ça l’endort. Et comme je n’ai que mon permis d’apprentie, l’habitacle est rarement silencieux. Je sais que c’est pour notre sécurité à tous les deux si Through Glass joue à tue-tête, mais je défoncerais quand même les speakers à coups de pied en ce moment.

Inspirer. Expirer. Me concentrer sur le vrombissement du moteur. Sur le ronronnement des roues contre l’asphalte. Laisser la vibration sourde combler tout l’espace, jusque dans ma cage thoracique. Comme ces soirs passés dans les bras de ma mère et durant lesquels je m’endormais avant la fin. Elle avait engagé une gardienne une fois, Mélanie, avec qui j’avais fini par défoncer le matelas d’eau de la grande chambre. Après ça, que ce soit pour les soupers d’affaires, les évènements de bureau ou les sorties entre amis, j’étais toujours son plus one. Une oreille sur sa poitrine, l’autre couverte par sa main, j’étais protégée du monde. Les yeux fermés, tout n’était que sons étouffés et sensations. Les voix nasillardes, les rires trop forts imbibés d’alcool, les gesticulations de maman pour appuyer ses propos. Je me dis que ça doit ressembler à ça être dans un ventre pendant neuf mois. Parfois, entre deux conversations, elle fredonnait:

« Ma petite est comme l’eau, elle est comme l’eau vive

Elle court comme les ruisseaux, que les enfants poursuivent

Courez, courez, vite si vous le pouvez

Jamais, jamais, vous ne la rattraperez »

Elle ne connaissait que ce couplet. Si quelqu’un l’interrompait, elle reprenait du début. Elle répétait les paroles en douceur, mon corps comme caisse de résonnance.

Le creux des bras de ma mère. Là, tout de suite. Il me semble que les Rocheuses ne sont rien comparées à ce vaste espace de réconfort.

“Les Rocheuses”, extrait de “Zone de confort”

Retrouvez le travail de Shana Paquette ici :

Anémone et Calendule

Carnet littéraire (crédits logo : Sabrina Couture)

Ecrit par Nouaisons

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