Sophie René de Cotret

Je me souviens qu’il a murmuré : « Ne le dis pas à papa ». Il n’aurait pas pu crier plus fort. En écho à sa demande, je n’ai rien dit.

Peu importe ce que j’allais faire, à partir de cet instant, mon silence avait parlé pour moi. J’étais devenue sa complice. 

Chapitre 2

J’émerge de mon sommeil comme d’une noyade. La respiration saccadée, je peine à retrouver mon souffle. Mes yeux tardent à s’acclimater au noir et pourtant, je sens que quelque chose dans ma chambre a changé. La panique envahit chacune de mes terminaisons nerveuses avant même que je ne le voie. Même assis dans ma chaise berçante, il a l’air d’un géant avec ses six pieds et ses muscles de garçon de dix-sept ans qui passe son temps sur le terrain de basket. Je les choisis bien, mes idoles ! À ce moment précis, je pourrais pousser un cri, réveiller les autres membres de la famille qui dorment juste à côté, le confronter devant tout le monde, mais je choisis encore une fois de me taire. Et il en connaît très bien les raisons. Une larme déborde.

– Tu n’as pas répondu à mon message. As-tu parlé ?

Sa voix se fait toute petite comme celle d’un gamin. Il me jette un regard implorant comme s’il souhaite que je le rassure. Mon cerveau essaie à toute vitesse de formuler une réponse intelligente. Ma gorge se bloque. Devant lui, mes mots se perdent. Je fais signe que non de la tête. Il semble soulagé. Ça ne dure qu’un instant. Ses traits se durcissent, sa voix reprend une tonalité plus rauque :

– Fais attention, Chloé. Souviens-toi que, toi aussi, c’est ce que tu voulais. Si papa apprend ça, ça le tuera. Tout ce que je te demande, c’est de ne rien lui dire.

Il se lève d’un bond de la chaise. Il n’est plus qu’à quelques centimètres de mon visage.

– Tu comprends ce que je te dis ? Si tu parles, ça va faire mal à pas mal de personnes. À moi, à toi, à la famille. C’est toi qui détruiras tout. C’est ça que tu veux ?

Je n’en peux plus. J’éclate pour de bon. Je sanglote des non à répétition. Je ferme les yeux, incapable de me calmer. Quand je les ouvre à nouveau, Olivier a disparu. Il a eu ce qu’il voulait. Me faire craquer et l’assurance que je me taise pour de bon.

Chapitre 3

J’aurais voulu dormir. Simplement sombrer dans le sommeil pour oublier, mais chaque seconde de sa visite repasse dans ma tête. Les souvenirs s’entrechoquent. Il n’a pas tort : c’est ma faute. J’essaie de m’extirper de cette pensée avant qu’elle ne m’étouffe, mais elle est tatouée partout dans mon esprit. Ma faute. Je ne sais pas comment je vais pouvoir affronter les yeux de mes parents ce matin sans qu’ils ne voient ce qui se cache dans les miens. Ma faute. J’ai envie de disparaître. Il est 5h00 du matin, c’est encore une possibilité. J’enfile les premiers vêtements que je déniche. Je saisis mon sac à dos et sors en catimini de la maison. Dehors, la noirceur m’entraine.  Je n’ai aucune idée de ma destination, alors j’échoue à l’arrêt d’autobus deux heures et demi trop tôt. Assise sur le banc, j’écoute ma musique en essayant de me calmer, d’oublier la ritournelle de « ma faute » qui s’accroche dans ma gorge.

Extrait de “Passer sous silence”

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