Julien Bouthillier

Arrivé de Montréal en fin d’été, le cinéaste et artiste en arts visuels Julien Bouthillier a travaillé à la rédaction du scénario de son premier long métrage de fiction, “Déliquescence”.
Crédits photo : Pierre Barrellon

Julien Bouthillier est un cinéaste et artiste visuel basé à Montréal. Il est titulaire d’un baccalauréat en art virtuel de Concordia University et a complété des études en scénarisation à l’Institut National de l’Image et du Son (INIS) de Montréal.
Il est l’auteur du court métrage documentaire « Artémis et la mort » qui achève actuellement une tournée des festivals internationaux. Son prochain court-métrage, « Cronos à Anticosti », actuellement en cours de post- production, sera bientôt lancé.
Outre le cinéma, Julien est actif dans le milieu de l’art vidéo, de l’installation, de la littérature et de la performance, construisant patiemment une œuvre élégiaque explorant les limites et extrémités de l’expérience humaine.

Générique d’ouverture.
Titre, sur fond noir :
DELIQUESCENCE
1 EXT. LA FORÊT. JOUR 1 Le lever du soleil.
Une forêt, dans un lieu hors de l’espace du temps, coincé dans un automne perpétuel.
Une multitude d’ arbres secs et frêles aux branches noueuses. Le sol est tantôt sec et desséché, tantôt boueux et marécageux – il ne paraît pas y avoir d’entre-deux. En dehors des arbres et de quelques frêles buissons, rien ne semble pousser dans cet te forêt – ni herbe, ni plante. L’eau s’accumule ici et là en de grandes flaques grisâtres et stagnantes.
Les troncs pourris de plusieurs arbres dé racinés jonchent le sol en divers endroits, recouverts de feuilles et d’épines de sapin.
Les animaux sont rares – un silence pesant règne sur les lieux, rompu par l’occasionnel bourdonnement paresseux de mouches voletant ici et là, ou encore par le craquement d’une branche au passage furtif et timoré d’un animal sauvage.
Le soleil est rare et capricieux en ces contrées – il semble perpétuellement caché derrière un épais rideau de nuages gris, ne jetant qu’un éclairage grisâtre sur une série de jours en apparence identiques. La météo semble incohérente, voir absurde – de sorte que malgré l’abondance de nuages, la pluie est rare et capricieuse, ne survenant qu’en de rares et torrentielles occasions.
En tout point, un lieux de désolation, qui semble repousser l’idée même de la vie.
2 EXT. MAISON. JOUR 2
Au coeur de l a forêt, une maison – une construction grossière dont l’existence semble tenir du miracle dans un lieu de pareil dénuement.
Cette maison est située au centre d’une clairière, et est entourée par la forêt de tout les côtés – les premiers arbres situés à environ une centaine de mètres de la demeure. Un vague sentier, datant d’une autre époque, se glisse jusque dans la forêt et a depuis longtemps été envahi par la végétation, s’effaçant complètement après quelques mètres dans la forêt.
Tout comme la forêt, la maison semble hors du temps – à certains égards, une construction préhistorique, par d’autres une construction de fortune évoquant l es abris de fortune des réfugiés contemporains. Les éléments modernes et anciens se côtoient dans un mélange déroutant. De façon générale, une certaine ambiguïté pèse sur cette construction, impossible à situer hors de tout doute dans une époque ou un autre : en outre, il est difficile d’estimer si la maison est contemporaine à ses résidents ou si elle est au contraire beaucoup plus vieille.
La structure est faite d’un mélange de pierre et de bois, ainsi que de divers matériaux récupérés, un assemblage hétéroclite dont l’équilibre semble des plus précaires, maintenu par des clous rouillés et des cordes épaisses. Plusieurs réparations ont eu li eu au fil des âges, donnant à l’ensemble l’air d’un gigantesque patchwork au style pour le moins éclectique. L’électricité est inconnue aux habitants de la demeure, qui s’éclairent à l’aide de lampe à huile.
Le vent et la pluie ont depuis longtemps délavé la peinture, et les planches apparaissent nues comme des os. Les quelques fenêtres de l’habitation ont pour la plupart été condamnées il y a bien longtemps déjà. Le vent agite régulièrement la demeure jusque dans ses fondations, rendant un son tonitruant.
La Maison est constituée d’un bâtiment principal, occupé par la salle à manger (située juste derrière la porte d’entrée) et par cuisine (situé derrière la salle à manger). À ce bâtiment sont rattachées deux ailes plus petites. Celle de gauche abrite les chambres, au nombre de deux. La deuxième aile abrite une étable ou logent plusieurs animaux : un âne, une vache, deux veaux, quelques poulets. La plupart des animaux sont maigres, et broutent avec placidité un foin jaunâtre et des poignées de grain.
Non loin de l’étable, une trappe mène à une réserve souterraine creusée à même le sol ou sont stockées les réserves du domaine. Un peu plus loin, des latrines ont été installées.
Un petit champ a été aménagé devant la maison : on y trouve une récolte maigre (des légumes, herbes, maïs, etc.), entretenue avec les moyens du bord. Une clôture de fortune a été érigée tout autour avec des piquets et de la corde, protégeant la récolte de l’appétit bêtes sauvages. Non loin du champ, un puits en pierre.
De l’autre côté de la maison, on a installé un autel religieux. Non loin de cet autel, on trouve un petit cimetière, ou reposent les occupants du domaine morts au cours des dernières années.
Bien que sous toute considération pratique affreusement pauvre et délabré, le domaine suggère une survivance opiniâtre et rigoureusement organisée face à des éléments anormalement hostiles à la vie. Les terres et les animaux produisent en outre le strict minimum nécessaire à la survie dans un milieu aussi austère – la vie sur le domaine est maintenue grâce à un équilibre des plus précaires, prêt à basculer à tout moment.
La porte de la maison s’ouvre. De l’intérieur plongé dans la pénombre, une femme sort lentement. Il s’agit de ESTHER (25- 35), une femme élancée, aux cheveux coupés très courts. Ses traits sont fermes et décidés, empreints d’une certaine gravité, marquée par l’expérience, le labeur et les sacrifices. Son corps et sa personnalité tout entiers ont été sculptés par un dur travail agricole et le poids des responsabilité qu’elle porte sur le domaine.
Elle porte une tenue fonctionnelle et sans ornement, aussi dure à situer historiquement que la maison. Elle porte attachée autour de ses épaules une longue cape de laine verte, pour vue d’un capuchon. En bandoulière, elle porte une gibecière de cuir vide.
Elle est suivie quelques instants après par CALEB (25-35), son frère cadet. Il porte une tenue semblable à celle de sa soeur, incluant la gibecière et la cape de laine, qu’il porte jaune.
Bien qu’il soit moins grand et élancé que sa soeur, Caleb demeure un homme bien bâti, au corps marqué par le travail physique, portant une légère barbe. Cependant, les traits de son visage n’ont pas encore acquis la dureté et l’âpreté de ceux de Esther, conservant quelques traces de la fraîcheur voir de l’innocence que lui permet encore son relatif jeune âge. Malgré qu’il ait grandi toute sa vie dans l’environnement punitif et extrême de la forêt, ses gestes et son attitude n’ont pas encore l ’assurance que l’expérience a conféré à sa soeur aînée.
Il porte avec un certain inconfort le poids de la responsabilité du logis, encore que dans les faits sa soeur prenne bien souvent les devants pour les décisions importantes et la gestion quotidienne du domaine.
Le regard d’Esther se porte sur le ciel, couvert de nuages gris. Elle le scrute avec attention, semble y guetter un présage quelconque, qui teinterait les résultats de l’entreprise qu’elle s’apprête à entre prendre avec son frère. Elle et son frère ouvrent lentement les bras, paumes relevées vers le ciel, en une posture rituelle. Leur bouche s’ouvre, et chacun mur mure quelque s paroles inaudibles, les yeux fixés vers les cieux, leur adressant une prière silencieuse.
La prière terminée, ils ferment les yeux et restent un instant immobile , en recueillement – ils joignent les paumes de leur main au niveau de leur coeur. Le vent continue à souffler , assourdissant et impitoyable. Esther est la première à ouvrir les yeux, suivie de Caleb.
Satisfait, Caleb hoche la tête, et tout deux se mettent en marche vers la forêt, Esther ouvrant la marche d’un pas rapide et assuré.
3 EXT. FORÊT. JOUR 3
Esther et Caleb parcourent les bois, suivant un itinéraire bien établi, qu’ils paraissent connaître par coeur. Ils se penchent régulièrement pour examiner différents pièges et collets (de conception rudimentaire), posés ici et là. Ils sont tous vides. Esther, impassible, se contente de réparer les pièges brisés, remettant des appât s ici et là. Caleb fait de même de son côté. Frère et soeur travaillent en silence, suivant une routine bien établie.
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4 EXT. FORÊT. JOUR 4
Plus tard. Caleb et Esther sont abrités sous un arbre, enveloppés dans des capes, prenant une pause dans leur expédition. Caleb grignote distraitement un morceau de pain sec. Esther reste assise, ses mains entourant ses genoux, attendant de reprendre la route.
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5 EXT. FORÊT. JOUR 5
Plus tard. Les deux compagnons ont repris leur route à travers la forêt . Leurs pieds s ’enfoncent dans le sol détrempé. Ils avancent lentement, peinant pour tirer leurs pieds de la fange couvrant le sol.
6 EXT. COLLINE. JOUR 6
Frère et soeur finissent par arriver à une colline rocheuse. Esther devant, ils commencent à la gravir, négociant une pente escarpée. Alors qu’ils en sont à la moitié, Caleb perd soudainement pied et chute dans la boue. Il roule lourde ment en bas de la pente, et glisse au fond d’une étroite crevasse entre deux arbres, y restant coincé jusqu’à la taille. Vive comme l’éclair, Esther se précipite à sa rescousse, mais manque de perdre pied elle aussi et passe près de s’affaler dans la boue. S’agrippant aux arbres, elle parvient à se rapprocher de son frère, qui tente désespérément de se hisser hors de la crevasse, dont les parois boueuses et trempées l’empêchent de faire tout mouvement. Il s’agite, commence à paniquer, ses mouvements erratiques ne servant qu’à le coincer davantage dans sa fâcheuse position.
Esther, calme mais ne perdant pas un instant, s’empare d’une longue branche d’arbre et, se mettant à plat ventre, la tend à bout de bras à son frère. Celui s’y accroche, et Esther entreprend de le hisser vers elle hors de la crevasse. L’opération s’étire, Caleb perdant plusieurs fois sa prise sur la branche, qui glisse entre ses mains mouillées.
Ce n’est qu’au bout de plusieurs tentatives qu’il parvient à assurer sa prise sur la branche et, au prix d’un grand effort, sa soeur finit par le tirer d’affaire, l’extirpant de la crevasse et le hissant vers elle plus haut sur la pente. L’attrapant par le col de sa cape, elle achève de le vers elle.
Épuisés, frère et soeur s’affalent sur le sol boueux, l’un contre l’autre, le souffle court, Caleb étant particulièrement éprouvé par l’événement. Sa soeur lui administre quelques rudes tapes dans le dos pour l’apaiser. Elle pousse un soupir de soulagement. Se remettant debout, elle lui tend la main pour l’aider à se relever et tout deux
reprennent leur route dans la forêt, légèrement.
.
Retrouvez le travail de Julien Bouthillier ici :

Ecrit par Nouaisons
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